Home > News > La Santé en RD Congo : une équation à plusieurs vitesses.

La santé, l’éducation et la formation, considérés autrefois par la Banque Mondiale et les Fonds Monétaires Internationales comme de secteurs budgétivores pendant la période d’ajustement structurel sont  devenus la triptyque de développement par excellence pour les mêmes institutions et toujours en Afrique. Ces institutions de Bretton Woods considèrent que le capital humain est le plus important de tous pour le développement. Mais cet homme ou cette femme doit être bien formé et bien éduqué, mais aussi il (elle) doit être en bonne santé. Sauf que dans l’entre-temps, les dirigeants africains ont intériorisé la maxime et ne fournissent aucun effort dans la plupart de cas et rechignent à y consacrer les moyens nécessaires.

C’est ainsi qu’en RD Congo le secteur de la santé est budgétisé pour moins de 3% et celui de l’éducation à moins de 2% annuellement par l’État. La conséquence est que la santé et l’éducation de qualité se trouvent entre les mains des privés. Or, qui dit privé, signifie la poursuite du lucre sans souvent se préoccuper de la qualité. Et, là où la qualité est au rendez-vous, alors c’est encore plus difficile que le simple citoyen puisse s’y rendre pour se faire soigner et bien étudier. C’est dans ce contexte que l’on parle de la santé à plusieurs vitesses.

La première vitesse est celle des établissements hospitaliers de l’État sans financement. Ils sont dans la plupart de cas appelés : mouroirs. On y entre pour en sortir sur une civière vers la morgue. Ces établissements manquent de tout : équipements, matériels, laboratoires, personnels de qualité, etc. Chaque médecin de renommé qui travaille dans les établissements publics a son cabinet privé dans lequel, il oriente ceux qui peuvent payer son tarif. Et les autres n’ayant pas de quoi payer sont abandonnés à leur triste sort. Toutefois, ceux qui n’ont pas grande chose dans leur bourse sont à la merci des infirmiers et médecins stagiaires. Le cas emblématique est l’hôpital général de Kinshasa appelé autrefois Mama Yemo.

La deuxième vitesse est celle des établissements hospitaliers de l’État avec subsides. Les spécialistes en médecine s’y trouvent et sont compétents. Sauf qu’ils utilisent les infrastructures et les laboratoires de l’État, mais avec leurs propres matériels et équipements pour soigner les malades fortunés ou les autorités publiques pouvant payés la facture de chaque spécialiste associée aux frais de l’État qui sont dérisoires. Cela signifie que chaque médecin apporte ses équipements et matériels pour soigner dans les installations de l’État. Le cas exemplatif est l’hôpital Ngaliema.

La troisième vitesse est celle des hôpitaux publics se trouvant en provinces ou dans ce que l’on qualifie de l’intérieur du pays. Ces hôpitaux manquent de tous en commençant par les médecins spécialistes et d’une bonne formation car avec les institutions d’enseignements supérieurs que le pouvoir public à travers le ministère de l’enseignement supérieur autorise de fonctionnement à l’intérieur du pays sans s’assurer du nombre et de la qualité des enseignants octroient des diplômes en médecine entre autre dans des conditions d’apprentissage et de formation douteuse. Ce sont ces médecins mal formés qui soignent à l’intérieur du pays principalement. Ils deviendront meilleurs peut-être après avoir conduit un bon nombre des Congolais et Congolaises vers la morgue.

La quatrième vitesse est celle des ‘Ligablos’[1] de santé appartenant aux privés. Ces centres de santé de fortune se trouvent partout. Sans médecins ni infirmiers (e) de qualité, ils sont spécialisés dans la plupart de cas pour toutes les maladies. Se trouvant sur les avenues et proches de la population, c’est là que l’on se présente pour les premiers soins avec risque d’y laisser sa vie si les choses se compliquent. Il s’agit dans la plupart de cas des établissements de transit.

La cinquième vitesse est celle des établissements hospitaliers privés. C’est là que l’on soigne généralement dans de bonnes conditions. Sauf que les soins ne sont pas à la portée de la majorité de la population. Ces établissements se trouvent principalement dans les grands centres urbains. Les services de radiologie avec scanner et l’IRM par exemple s’y trouvent. Le Centre Hospitalier Monkole est le porte étendard.

La sixième vitesse est celle des tradi-praticiens ou la médecine des pauvres. Ceux qui ne peuvent aller dans l’un ou l’autre centre précédemment cité sont obligés d’aller voir le tradi-praticien de son village ou de son quartier. Sans connaître la dose ni la spécificité de la maladie que telle ou telle potion soigne, ils sont à la base de beaucoup de cas d’intoxication. La majorité des Congolais (es) consultent cette ‘médecine’ dite des pauvres avec les conséquences que nous pouvons envisagées.

C’est dans ce contexte que nous pouvons parler de soins de santé en RD Congo ; des soins de santé non couvertes par une assurance. Des soins de santé dont chaque individu doit payer selon sa fortune. Et, le pauvre n’a qu’une solution, la tradition ou être pris en otage dans un centre hospitalier après la guérison ou l’accouchement d’un bébé. Le chemin est long pour parler des soins de santé possible pour la majorité de la population ou d’une couverture universelle de santé en RD Congo. Il s’agit encore des soins de santé pour les riches qui non seulement payent chez les privés mais peuvent aller en Europe  en cas de complication, mais aussi pour une question de prestige et d’une autre nationalité pour le nouveau-né. Cette situation de la RD Congo est transposable sur la majorité des pays africains.

Philémon MUAMBA MUMBUNDA
Docteur en sciences politiques
Doyen de la Faculté de Sciences Politiques
Université Catholique du Congo (UCC)

[1] Le Ligablo est un terme lingala (la langue parlée à Kinshasa principalement) qui signifie une petite boutique dans laquelle on vend tout sans se préoccuper des conditions ni de l’origine et de la qualité de la marchandise. Ce qui importe, c’est le gain.